Depuis plusieurs mois, la situation sécuritaire dans l’Est de la République démocratique du Congo reste l’une des préoccupations majeures de la nation. Au-delà de l’action des Forces armées de la RDC (FARDC), un phénomène attire l’attention : la montée en puissance des « Wazalendos », ces groupes armés patriotes qui combattent aux côtés de l’armée nationale contre les rebelles du M23 et l’agression attribuée au Rwanda. Ce soutien inattendu, voire stratégique, suscite des questions aussi bien militaires que politiques.
Un mouvement sans visage officiel

Le mystère qui entoure les Wazalendos commence par leur structure. À ce jour, aucune figure clairement identifiée ne revendique la direction générale de ce mouvement. Il s’agit d’un ensemble hétérogène de groupes d’autodéfense, portés par un même idéal : défendre la patrie face à l’ennemi. Leur coordination semble s’effectuer sur le terrain, mais sans organigramme visible ni discours institutionnel formel. Cette absence de hiérarchie publique pourrait être une stratégie volontaire ou un indice d’atomisation du mouvement.
Soutenus aujourd’hui, mais demain ?

Le discours officiel tend à saluer l’action des Wazalendos. Des membres du gouvernement, des parlementaires et une partie notable de l’opinion publique, y compris certains journalistes et influenceurs, ont exprimé leur gratitude envers ces combattants « patriotes ». Mais cette reconnaissance, fondée sur l’urgence sécuritaire, pourrait se transformer en un dilemme politique.
Et si demain, des représentants de ces groupes venaient à revendiquer une place dans le processus décisionnel national voire un poste clé dans un éventuel gouvernement d’union nationale, quelle serait la réponse du pouvoir en place ? Le président de la République serait alors confronté à une équation délicate : récompenser une aide militaire non conventionnelle sans fragiliser les principes républicains.
Vers une intégration dans les FARDC ?

La question de l’intégration des Wazalendos dans les FARDC reste entière. Si certains observateurs estiment qu’il serait logique d’intégrer ces combattants pour renforcer les rangs de l’armée, d’autres mettent en garde contre le risque de créer un précédent dangereux. L’histoire récente de la RDC montre que les intégrations hâtives de groupes armés, parfois sans réelle réforme ont souvent conduit à des dysfonctionnements internes dans les forces de sécurité, voire à des cas de mutinerie.
Il faudrait donc, si une telle option était envisagée, poser un cadre rigoureux : filtrage, formation, encadrement et évaluation préalable des individus. Cela supposerait aussi une réelle volonté politique de transformer des groupes informels en soldats républicains, avec tout ce que cela implique en termes de discipline, d’obéissance à la hiérarchie militaire et d’adhésion à la Constitution.
Un poids politique à venir ?

L’un des scénarios envisagés par certains analystes serait celui d’une transformation des Wazalendos en force politique ou para-politique. Comme d’autres acteurs armés dans le passé, ils pourraient chercher à capitaliser sur leur rôle dans la résistance pour peser dans les négociations politiques futures, ou même dans les prochaines élections. La tentation d’instrumentalisation par des partis, des coalitions ou des personnalités influentes ne serait pas à exclure.
Il faudrait alors se demander si la République est prête à accueillir dans ses institutions des représentants d’un mouvement né dans l’urgence sécuritaire, mais sans légitimité électorale ou base idéologique claire. Cela poserait aussi la question de l’équité envers d’autres citoyens ou acteurs politiques qui ont suivi les voies classiques d’accession au pouvoir.

En guise de conclusion, les Wazalendos incarnent une dynamique complexe : ils sont, pour l’heure, des alliés efficaces face à une menace étrangère. Mais leur avenir reste flou. Faute de cadre juridique, de leadership officiel ou de vision politique déclarée, ils pourraient devenir une variable incontrôlable du jeu politique congolais.
Leur rôle, aujourd’hui applaudi, devra être clarifié demain. Car si l’on ne définit pas, dès maintenant, les règles de leur reconnaissance ou de leur éventuelle intégration, la RDC risque de faire face à une autre forme d’instabilité, née paradoxalement d’un sursaut patriotique.
Chronique de Joli Toko, journaliste d’investigation | NTEMO.CD